Zone de turbulences pour les législatives en Géorgie

, par Alexis Vannier

Zone de turbulences pour les législatives en Géorgie
Image : Diego Delso, delso.photo, License CC-BY-SA

La crise sanitaire n’aura pas eu raison de la tenue des élections législatives en Géorgie. Le renouvellement des 150 sièges du Parlement doit cependant surmonter, voire résoudre une crise politique et institutionnelle majeure qui ébranle le pays depuis plus d’un an et ce, alors que ses voisins arméniens et azerbaïdjanais sont engagés dans une escalade de violences militaires dans la poudrière ethnico-religieuse qu’est le Caucase.

Profonde refonte constitutionnelle…

La Géorgie fait partie de cette catégorie de pays dont on entend parler seulement pour ses crises majeures. Elle fait même figure de « star » de sa catégorie, puisque ce petit pays du Causes a été le théâtre d’une guerre éclair (la Deuxième guerre d’Ossétie du Sud, du nom d’une république sécessioniste du nord du pays) avec la Russie en 2008 qui a amputé la Géorgie de près de 18% de son territoire.

En 2017, une nouvelle constitution est adoptée visant à la ’parlementarisation’ du régime qui prévoit le doublement (de 150 à 300) des sièges au Parlement, un seuil électoral à 5% pour y être représenté et un accroissement considérable des compétences du pouvoir législatif au détriment du Président, à qui un rôle symbolique similaire à celui du Président allemand ou estonien, alors élus par les parlementaires, devait être donné. Ces modifications n’entreront en vigueur que lors des scrutins législatif et présidentiel en 2024. L’élection présidentielle est d’ailleurs repoussée d’un an pour coïncider avec les législatives, le mandat de Salomé Zourabichvili est donc allongé d’autant. Ce scrutin est donc le dernier à être régi par les règles de l’ancienne Constitution.

En outre, la réforme constitutionnelle prévoit une sacralisation des terres agricoles qui ne peuvent être détenues par des non-nationaux, mais également l’inscription constitutionnelle de la limitation du mariage à l’union d’un homme et d’une femme. Il semble ainsi évident que ces dispositions visent à la pacification politique et institutionnelle du pays…

… Et crise politique majeure…

En juin 2019, preuve des tensions avec le grand voisin du Nord, c’est la venue d’un député de la Douma, chambre basse de l’Assemblée fédérale de Russie, qui met le feu aux poudres. Sergey Gavrilov, élu communiste russe est en effet invité par un représentant du Rêve géorgien (RG), l’omnipotent parti au pouvoir, à s’adresser au Parlement national dans le cadre de l’Assemblée interparlementaire russo-géorgienne. Après son allocution exprimée en russe, il s’assoit sur le siège réservé au Président de la Chambre. Le symbole fait grincer des dents dans cette République anciennement soumise à l’oppression soviétique. Une erreur de protocole ajoutée au soutien formel du député Gavrilov à l’indépendance de l’Ossétie du Sud, territoire à l’origine de la guerre de 2008, embrase le pays : la Géorgie est indépendante, Moscou ne peut plus agir comme un suzerain.

Des manifestations monstres éclatent alors dans le pays pour réclamer la démission du Président de la Chambre et des députés à l’origine de l’invitation de leur homologue russe. Une lourde répression attise la colère et l’Union européenne et les États-Unis accentuent la pression sur les autorités et notamment sur Rêve géorgien. Les manifestants réclament alors une réforme en profondeur du système électoral par l’instauration de la proportionnelle. Pourquoi cette revendication ?

… Pour des législatives sous tension

Lors des élections législatives de 2016, l’Alliance des patriotes, parti conservateur et favorable à un rapprochement avec Moscou, fait son entrée au parlement avec 5% des voix et 6 sièges sur 150. Le Mouvement national uni, de droite et favorable à un rapprochement avec Bruxelles, principal parti d’opposition, engrange 27% des suffrages et 27 députés. Avec 48,7% des voix et un système mi-majoritaire, mi-proportionnel avantageux, le Rêve géorgien obtient 115 sièges soit 76% du Parlement ! Un tel contrôle n’étonne pas dans certains pays d’Afrique ou d’Asie, peu enclins à la démocratie, mais peut surprendre aux portes de l’Europe. C’est ce mode de scrutin, qui a propulsé Rêve géorgien au firmament législatif, que les manifestants souhaitent abolir. Après de longues semaines de bras de fer à la fin de l’été 2019 entre la foule et l’homme fort du parti majoritaire, le milliardaire Bidzina Ivanichvili, il est proposé de recourir au scrutin plurinominal sans seuil électoral pour les prochains scrutins. Mais les députés du RG ne l’entendent pas de cette oreille et organisent une fronde en novembre en refusant d’adopter le texte. Il n’en faut pas plus pour réveiller les manifestations qui repartent de plus belle.

C’est finalement la médiation des États-Unis d’Amérique, de l’UE et du Conseil de l’Europe qui convainc les deux camps de l’opportunité de la réforme et ajoute un nouveau découpage territorial sensé être plus représentatif. Cependant, l’arrestation de figures de l’opposition et des manifestations tendent la situation et les partis d’opposition refusent donc de participer au vote final. La libération ordonnée par la présidente Zourabichvili d’opposants politiques, notamment de l’ancien ministre de la Défense et ancien maire de la capitale Tbilissi, n’ont pas suffi à calmer les tensions. Reporters sans frontière dénonce eux un climat violent, quatre journalistes d’un média d’opposition ont été violemment attaqués sans que l’on connaisse pour l’heure les auteurs de ces crimes.

Pour ce scrutin, une partie de l’opposition (31 partis sur les 66 en lice) à s’allier pour proposer un candidat unique dans les huit circonscriptions de Tbilissi, quand le parti Girchi (« pomme de pin » en géorgien va jusqu’à promettre à ses électeurs de leur acheter des voitures Tesla sur les fonds alloués par l’État en cas de succès électoral. Cela se passe de commentaires.

Ces élections se tiennent au même moment que des législatives dans la région autonome d’Adjarie, au Sud-Ouest du pays, encore dans le giron géorgien contrairement aux républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.

Au terme d’une campagne difficile, les deux principaux partis sont au coude à coude dans les urnes (48,5% pour le Rêve géorgien et 45% pour le Mouvement national uni) et revendiquent tous deux la victoire. En attendant la fin du mois pour connaître l’attribution des 30 sièges (sur 150) répartis à la proportionnelle, l’opposition appelle déjà a des manifestations. Une nouvelle crise politique est à craindre dans un Caucase déjà bien secoué.

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