Chronique d’une crise européenne annoncée

, par Kevin Goldberg

Chronique d'une crise européenne annoncée

Les irlandais ont rejeté le Traité de Lisbonne d’un « No » clair et retentissant, pouvant s’appuyer sur une participation plus forte que prévue et plus de 6,8 points d’écart avec le Oui.

Malgré cela, les gouvernants européens prennent d’ores et déjà à la légère ce troisième refus opposé à la réforme des institutions européennes. Ils ont affirmé en chœur que « Le processus de ratification doit continuer », ou pour le dire en termes moins diplomatiques, qu’une fois que 26 États sur 27 auront accepté le Traité, la pression sur l’Irlande sera telle qu’ils finiront bien par voter Oui, comme ils l’ont déjà fait en 2001. Pour être bien sûr de leur vote, on aura au préalable réaffirmé haut et fort leur droit perpétuel au dumping fiscal, à l’interdiction constitutionnelle de l’avortement, au refus du mariage homosexuel et aux limitations du divorce. Beau progrès.

Après tout, les irlandais ne représentent qu’1% de la population européenne. Il paraît évident que leur pouvoir de bloquer une réforme que les 99% autres sont prêts à ratifier est démesuré et anti-démocratique.

Le pari (raté) du traité en catimini

Revenons toutefois un instant sur le « pari » que représente le Traité de Lisbonne : suite aux rejets français et néerlandais, les gouvernants européens, au premier rang desquels le président français fraîchement élu, acceptent de facto l’idée qu’il faut :
 1. Qu’un traité soit ratifié pour permettre à l’UE de mieux fonctionner
 2. Que cette ratification ne sera possible que si elle est parlementaire.

Ce qui revient à avouer sans complexe que les citoyens voteraient probablement « Non » si on leur demandait directement leur avis.

Au moins, on ne pourra pas leur reprocher d’avoir manqué de lucidité. Bien que peu de sondages viennent l’étayer, chacun sait en son for intérieur quelles auraient été les réponses des Français, des Néerlandais, des Tchèques, des Britanniques, des Suédois, ou des Danois si on les avait confrontés à un texte moins lisible et moins ambitieux que le Traité Constitutionnel.

La peur comme moteur du projet européen ?

On notera d’ailleurs que le risque d’un nouveau « non » irlandais est loin d’être négligeable, malgré les « garanties » qui accompagneront à coup sûr le prochain vote. Qu’arrivera-t-il alors ? Les chefs d’États seront obligés de soit abandonner définitivement le traité, soit proposer à l’Irlande une Union bis, sous la forme d’un partenariat privilégié semblable à celui de la Suisse et de la Norvège. Prenons le pari que pendant la campagne, les tenants du oui brandiront le risque d’un déclassement définitif du pays comme un argument choc. Utiliser la peur comme moteur de l’intégration européenne, voilà bien le genre d’absurdité auxquels seront contraints nos gouvernants au train où vont les choses. Et si le non l’emporte malgré tout, l’Union sera réellement dans l’impasse, obligée soit d’abandonner tout espoir d’aller en avant dans sa construction, soit de laisser de côté un de ses champions, bientôt rejoint par d’autres.

Allant de crises en crises, l’Union Européenne ne cesse ainsi de piétiner, engoncée dans un système institutionnel bien trop étriqué pour ses ambitions et opposée à ses citoyens qui voient de moins en moins son intérêt et de plus en plus ses inconvénients.

Il y a urgence...

Peut-être serait-il temps de réagir, avant qu’il ne soit trop tard. De sortir des habituels arrangements inter-gouvernementaux saupoudrés d’opt-outs, de la prise de température de l’opinion à coup de référendums par-ci par-là, des soubresauts communicationnels de la commission pour promouvoir l’UE comme on fait du marketing pour une marque de soda. L’Europe par la preuve, ou la quête d’une légitimité à coup de logos sur les ponts et les musées, a pris un sérieux revers avec le refus irlandais, un pays où la plupart des interrogés disent être conscients de ce que leur a apporté l’UE. « La politique c’est pour les citoyens l’exigence d’être maître de leur destin, or l’Europe apparaît aujourd’hui comme ce qui les empêche d’être maître de leur destin », a très justement dit François Bayrou. C’est à ce sentiment de dépossession du pouvoir démocratique, amplifié par les ratifications « en catimini », qu’il faut aujourd’hui nous attaquer.

Plus jamais un référendum national sur l’Europe !

Pour cela, le référendum n’est pas la meilleure solution : malgré l’apparente perfection d’une décision laissée aux mains du peuple, on est loin du nec plus ultra de la démocratie. Un texte technique, issu de compromis difficiles et inconnus de la population, déjà validé par les gouvernements, est envoyé aux citoyens d’un seul État. Ceux qui y comprennent quelque chose sont frustrés de ne se voir proposer aucune alternative, les autres cèdent aux sirènes du populisme nationaliste, qui a beau jeu d’inventer toutes sortes de contre-vérités simplistes.

Les tenants du texte se voient systématiquement obligés de se réfugier dans une posture défensive et ennuyeuse, alors que c’est un argumentaire fort en faveur de l’idéal européen qu’il faudrait transmettre aux citoyens. Qui plus est, le vote n’a aucune incidence sur le futur immédiat de l’électeur, ce qui finit par le déresponsabiliser complètement. Le seul véritable argument qu’il entend en faveur du oui est qu’un vote négatif (re)plongera l’Europe et ses élites politiques dans la crise, ce qui ne le dérange pas outre mesure.

Si on abandonne l’idée des référendums nationaux sur le thème « oui ou non voulez-vous de notre Magic Box européenne », et que l’inter-gouvernementalisme est en faillite, que reste-t-il comme solution ? Un acte fort, fondateur, objet politique central pour tous les européens, au même moment. Pourquoi pas l’élection d’une constituante ?

Illustration : « Debate Europe », image issue du site de la Commission européenne.

Vos commentaires
  • Le 25 juin 2008 à 18:18, par arturh En réponse à : Chronique d’une crise européenne annoncée

    On l’a déjà dit ailleurs, on le redit ici. Appeler à une hypothétique « Constituante » est intéressant, mais il faut un calendrier clair.

    Or il vaut mieux ne pas parler Constituante pour l’instant et parler d’un calendrier politique clair.

    Et de ce point de vue, le calendrier est clair : octobre 2008 : échec programmé du prochain Conseil. Ensuite, neuf mois de campagne électorale crescendo pour l’élection de nos représentants au Parlement Européen en 2009. La réalité politique de l’UE va se révéler dans cet intervalle.

  • Le 26 juin 2008 à 14:08, par YVAN BACHAUD En réponse à : Chronique d’une crise européenne annoncée

    Bonjour,

    Cet article fait une bonne analyse de la situation actuelle et de la façon dont se fait l’Europe sans et même contre les peuples.

    Sur le site http://www.ric-france.fr on trouve de courtes vidéos dans lesquelles on voit M. SARKOZY dire qu’à chaque évolution de l’Europe il faut consulter le peuple sinon on se coupera du peuple.

    Pourtant il n’a pas fait de référendum...

    Dans une autre il affirme qu’il n’est pas question de faire repasser le TCE puisque les Français ont dit non. C’est exactement ce qu’il a fait tout le monde l’a reconnu. VGE dans le monde a même indiqué que l’on avait juste changé l’ordre " pour que cela soit plus facile à avaler"

    Dans cet article on peut lire une citation de F.BAYROU." « La politique c’est pour les citoyens l’exigence d’être maître de leur destin, or l’Europe apparaît aujourd’hui comme ce qui les empêche d’être maître de leur destin », a très justement dit François Bayrou. "

    Pour être maitres de leur destin européen il est indispensable que les citoyens disposent du référendum d’initiative citoyenne européen pour pouvoir abroger un règlement ou une directive ou en proposer de nouveaux. C’est ce que prévoyait en juin 2000 le projet de Constitution européenne d’Alain JUPPE, président de l’UMP à l’époque.. :-( mais le gouvernement et l’UMP l’ont oublié devant la Convention présidée par VGE.

    Or M. BAYROU est contre le RIC aussi bien national qu’européen qui est justement le seul moyen d’être véritablement maitre de son destin..

    Il faut aussi qu’ils puissent choisirleurs représentants par le vote préférentiel qui n’existe pas en France et qui permettrait pas exemple de modifier les N° d’ordre sur les listes.

    Si l’on veut des règles du jeu institutionnelles qui soient approuvées par les citoyens il faut un nouveau traité purement institutionnel et commençant par un article disposant en substance :

    " La souveraineté européenne appartient aux citoyens qui l’exercent par leurs représentants élus au suffrage universel direct et préférentiel et par la voie du référendum d’initiative citoyenne en toutes matières de la compétence de l’Union."

    En France 82% des citoyens souhaitent pouvoir lancer de référendums sur les sujets de leur choix !

    (sondage Sofres mars 2003 pour Lire la politique").Dans les autres pays le score serait sans aucun doute du même ordre.. Mais la Commission a refusé de poser la question dans son Baromètre.. :-(

    Dans cet article qui cherche des solution,une question importante est posée :

    Pourquoi pas l’élection d’une constituante ?

    La réponse est évidente : Parce que cela ne servirait à rien.. !

    En effet même à la propositionnelle intégrale dans tous les pays on aurait une composition très peu différente de la composition de la Convention qui a fait le TCE rejeté par la France et les Pays Bas.

    Qui nous expliquera le contraire ?

    La solution est très simple et peu couteuse si on veut connaitre les "aspirations des citoyens européens" comme le proclame sans arrêt la Commission dont c’est en réalité le dernier des soucis.

    Il faut prendre comme texte de base les 11 pages institutionnelles du TCE.

    Tirer au sort dans chacun des 27 pays d’une "assemblée constituante citoyenne consultative nationale" ( ACCCN) qui feraient ses propositions de modifications..

    Puis à partir des 27 ACCCN serait mise en place un ACCCEuropéenne. qui ferait une synthèse avec des options chaque fois que possible.

    Le texte final serait soumis à tous les peuples en même temps. Ce TCE prévoirait ses propres règles d’adoption et bien sûr ne pourraient être imposés à ceux qui l’auraient refusé.

    Une Europe démocratique repartirait alors du bon pied.

    La commission européenne a refusé la mise en place de ces ACCCN et ACCCeuropénne.

    Elle veut faire l’Europe sans les peuples et contre eux..C’est fini cela

    Vive la démocratie...

    Yvan Bachaud

  • Le 27 juin 2008 à 17:44, par arturh En réponse à : Chronique d’une crise européenne annoncée

    Il est faux de dire qu’en cas d’élection d’une Constituante, on aurait la même résultat qu’avec la Convention. Un : la Convention n’avait pas été élu pour ça. Deux : 10 ans d’échecs successifs, qui avaient commencé avant la Convention et continuent aujourd’hui nous ont appris la leçon.

    Les débats incessants des 5 derniers années dans toute l’UE, et en particulier depuis l’échec du TCE n’ont pas été inutiles.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom