Pour une Communauté Mondiale du Carbone

, par Troy Davis

Pour une Communauté Mondiale du Carbone

Le consensus scientifique mondial est clair, l’humanité doit réduire la concentration de CO2 dans l’atmosphère suffisamment rapidement pour empêcher les cycles climatiques mondiaux de sortir des normes historiques, puis de se restabiliser à des niveaux différents, mettant ainsi notre civilisation en danger. L’heure est donc à la réduction des émissions des gaz à effet de serre, avant qu’il ne soit trop tard et qu’on n’atteigne des seuils de bascule du climat.

Une nécessaire mais difficile coordination mondiale

Les solutions existent ; de la réduction de la consommation énergétique, au remplacement des énergies fossiles par des énergies issues de sources renouvelables et nucléaires, en passant par les solutions de géo-ingéniérie. Nous ne plaidons pas pour une solution ou une autre, mais quoi qu’il en soit, une chose est absolument nécessaire, c’est la coordination sans faille des efforts mondiaux. Malheureusement, à ce moment particulier de l’histoire, il se trouve que nous sommes au beau milieu d’une ère que l’on pourrait qualifier de l’ère des États-nations. La plupart des gens ne le savent pas car elle dure plusieurs générations, mais elle est en réalité très récente et ne date que du 19e siècle. Pourquoi mentionner cet obscur fait historique ? Car le hasard fait que nous vivons dans une ère historique où l’ordre mondial souffre d’un problème structurel, invisible, qui empêche l’Humanité de résoudre ses problèmes efficacement.

Retard de la politique par rapport à la science

En effet, si on considère la vitesse des négociations internationales sur ce sujet depuis une trentaine d’années, ou encore le fait que l’effet de serre est bien connu des scientifiques depuis presque 200 ans, la politique est très en retard sur la science. C’est en 1824 que le célèbre mathématicien et physicien français Jean-Baptiste Joseph Fourier (inventeur des séries de Fourier et de l’incontournable transformation de Fourier) écrit dans les Annales de chimie et de physique : « la température [de la Terre] peut être augmentée par l’interposition de l’atmosphère, car la chaleur sous forme de lumière rencontre moins de résistance en pénétrant l’air qu’en repassant dans l’air après avoir converti dans de la chaleur non-lumineuse ». Le mécanisme exact fut élucidé d’abord en 1856 par une américaine Eunice Foote puis par un Irlandais, John Tyndall, qui l’expliqua par l’absorption différentielle de différentes longueurs d’onde infrarouge. Il est ainsi traditionnellement considéré comme le découvreur du mécanisme exact de l’effet de serre.

Un ordre mondial délétère

Néanmoins, cela prit plus d’un siècle, avec le travail de l’ingénieur anglais Guy Callendar qui le premier conclut que l’activité humaine avait causé un réchauffement mondial, puis avec les observations de l’américain Charles Keeling à l’Observatoire de Mauna Loa de 1958, qui confirma cette hypothèse, pour que la science soit sûre de son fait. Si le monde avait pris les mesures appropriées il y a 60 ans, nous ne serions pas aujourd’hui dans la situation sérieuse dans laquelle nous nous trouvons. Pourquoi la politique a-t-elle mis autant de temps ? À cause de la structure de l’ordre mondial évoquée au début de cet article. Les années ‘60 virent une accélération du paradigme de l’État-nation, avec des dizaines de nouveaux États issus de la décolonisation et de la perte des empires, ce qui que la probabilité pour le monde de trouver des accords internationaux a drastiquement diminuée au moment exact où les découvertes scientifiques exigeaient une coordination et une coopération accrue.

La construction européenne change la donne

Mais une expérience politique inédite pédalait à contre-courant de la tendance, dans le sens d’une meilleure coopération internationale. Il s’agit bien sûr de l’expérience européenne d’après-guerre, qui se fit progressivement et pas à pas, et culmina dans l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui, précédée par le Conseil de l’Europe. Ce qui nous intéresse en particulier est la genèse concrète, pragmatique de cette coopération. Rappelons les paroles de Robert Schuman, né à Luxembourg, de nationalité allemande de par son père né français et devenu allemand (après la conquête de la Lorraine en 1870 par Bismarck), ministre des affaires étrangères de la France, et son fameux discours du 9 mai 1950, et modifions-les pour notre temps. Le climat mondial ne saurait être sauvegardé sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui le menacent. Le monde ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : il se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.

Réorganiser le système mondial

La proposition de Schuman était visionnaire pour ne pas dire révolutionnaire, car au lieu de se reposer sur le système séculier de la diplomatie, avec ses lenteurs, son imprévisibilité, son inconstance, il proposa de créer une structure permanente pour ancrer la paix dans le tissu politique international, une Haute Autorité. Elle gérerait les productions communes de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne surtout, pour empêcher toute future guerre, car ces ressources étaient alors la base de tout effort militaire à grande échelle. Aujourd’hui, la guerre est contre un ennemi invisible, et contre nous-même, contre le chaos d’un système mondial qui nous empêche de prendre les mesures nécessaires, efficaces mais justes au plan mondial, pour réguler les émissions de gaz effet de serre, éviter les systèmes concurrents comme les différents systèmes de taxe carbone non-coordonnées, et en général, pour éviter que les comportements égoïstes nationaux ne mènent au désastre pour tous. Nous partons du constat que le plus grand problème aujourd’hui est politique, et que si la politique permettait à la science et à l’industrie, à l’économie et au marché, de fonctionner dans le sens d’une réduction des émissions de GHG, alors nos déjà bien maigres chances d’y arriver seraient multipliées.

Une Communauté mondiale du carbone

Comment adapter ce précédent historique au 21e siècle ? En créant un équivalent donc de la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, mais au niveau mondial, et qui se concentrerait exclusivement sur les émissions de gaz à effet de serre, qu’on pourrait appeler Communauté Mondiale du Carbone (World Carbon Community). Les détails devraient être négociés par la communauté internationale, finalisés dans les chancelleries et le traité mondial final finalement adopté dans une COP. L’avantage de cette formule est que le précédent historique est fort et indéniable, même si évidemment l’institution ne pourra pas fonctionner exactement de la même manière. Mais nous insistons au moins sur un point particulier, qui provient de l’expérience européenne. Il est absolument critique et nécessaire que cette future Communauté Mondiale du Carbone comprennent dès le départ une assemblée parlementaire démocratique, tout comme la CECA eut sa propre assemblée, une réalité bien méconnue, mais cette assemblée, qui fusionna plus tard avec les assemblées parlementaires d’Euratom et des Communautés économiques européennes, fut la genèse du Parlement européen, qui se déclara tel en 1962, et dont les députés furent élus au suffrage universel en 1979. Qui sait, peut-être que cette assemblée démocratique mondiale, au fil du temps, remplira les rêves de Victor Hugo, de proclamer la « fraternité des hommes » dans son discours d’ouverture du Congrès de la Paix à Paris le 21 août 1849, et de finalement réaliser politiquement le vieux rêve que ‘l’Humanité est une famille ‘.

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