Ce coq gaulois qui croyait protéger sa basse-cour bien-aimée contre les assauts de la louve romaine.
Même si sa situation est fort inconfortable, il faut admettre que l’Italie a fait preuve d’une totale inconséquence en accordant à l’aveuglette et comme par défi des titres de voyage à des migrants dont il y a fort à parier que la majorité ne pouvait se prévaloir des ressources financières exigées par le droit européen. Une façon peu glorieuse de se délester au plus vite du problème auprès de ses voisins. De même le ministre de l’intérieur italien lui-même, Roberto Maroni, avait il y a quelques jours l’intelligence de caresser l’idée de quitter l’Union (rien d’étonnant de la part d’un ponte de la Ligue du Nord). Seulement, la réaction du Gouvernement français n’a pas à rougir face à son homologue italien en termes de bêtise, bien au contraire !
L’immigration est un problème d’une complexité inouïe auquel n’existe pas de solution miracle, et la seule fortification de nos frontières extérieures ne saurait suffire. C’est pourquoi l’on ne peut se contenter de réponses simplistes et autres raccourcis populistes. Ce dont l’Union européenne a besoin, c’est d’une position commune, cohérente, d’une vision sur le long terme. Et de l’unité de ses membres, car c’est là le préalable incontournable d’une politique efficace et rationnelle. Nous n’avons pas la prétention de dire à nos gouvernants quoi faire face à une immigration qui se fait de plus en plus pressante et qui existera tant que subsistera un tel fossé économique entre le Nord et le Sud. Seulement il est de notre devoir de leur faire savoir avec véhémence que le chemin qu’ils semblent emprunter n’est pas le bon et qu’il risque de faire imploser cette Union que nous tentons désespérément d’ériger depuis plus de soixante années aujourd’hui.
En effet il s’agit là d’un travail collectif et de longue haleine, partant un Gouvernement ne peut espérer en tirer rapidement quelque laurier. Aussi a-t-on droit à des réactions et à des déclarations irresponsables de la part des plus hautes sphères de l’Etat. Réactions qui, on l’aura bien compris, sont dictées par un populisme bas de plafond attisé par les récents succès électoraux de l’extrême droite française. Extrême droite que la majorité courtise avec une application qui tient du racolage plus que de la séduction. Quitte à servir ses thématiques fétiches. Quitte à flirter dangereusement avec certaines de ses positions. Quitte à jouer aveuglément son jeu.
La lâche tentation du repli territorial.
Ainsi, la France vient-elle de fermer ses lignes ferroviaires à son voisin transalpin, au motif fallacieux qu’un train chargé de migrants et de manifestants risquait de mettre en péril l’ordre public. On ne nous fera pas croire qu’un tel train aurait été plus dangereux qu’un train chargé de supporters de football à l’occasion d’un match de la Ligue des Champions par exemple (avec la minorité violente s’y cachant bien trop souvent). Or, il est surprenant de constater que dans le premier cas, l’Etat français se risque à fermer une ligne de chemin de fer, tandis que dans la seconde hypothèse il se « contente » d’un encadrement fort coûteux.
Pire encore l’on apprenait samedi dernier que l’Elysée songeait à rétablir « temporairement » les frontières françaises, ce afin de pallier les assauts de ces migrants débarqués en Italie et poussés par ces révolutions arabes que nous sommes si prompts à saluer mais dont personne ne semble résolu à assumer le revers de la médaille.
Le simple fait pour la France de penser se retirer de l’espace Schengen à cause de ces 25 000 Tunisiens est une faute impardonnable. Et ce même s’il ne s’agit que d’un « coup de com’ » irresponsable. En plus de faire montre d’un égoïsme forcené en abandonnant l’Italie face à ces flux migratoires là où la solidarité entre Européens – et plus largement entre êtres humains – devrait primer, Paris se laisse aller à la « solution » de facilité : fermer ses frontières. Une solution qui ne règle strictement aucune question (les migrants ne s’évaporeront pas et les frontières ne les ont jamais arrêtés) et qui lance un message honteux et d’une puissance terrible à tous nos partenaires : démerdez-vous.
Notons que la fermeture des frontières ne saurait se justifier que par « une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure » [1] et qu’une telle mesure, extrême, n’a vocation qu’à être temporaire (30 jours renouvelables). On nous rétorquera que l’Etat français s’est déjà prévalu d’une telle mesure à l’occasion de sommets internationaux, ou même d’événements sportifs. Or, l’existence même d’une telle menace en l’espèce est hautement contestable (on voit mal des « black blocks » se cacher dans ces trains), et il faut en outre garder à l’esprit que la pression migratoire du Sud vers le Nord ne fera que s’accentuer, aussi est-il très difficile d’imaginer l’intérêt d’une telle décision, exceptionnelle, ponctuelle par nature face à un phénomène chronique.
Certes, ces 25 000 Tunisiens ont entrepris de traverser la Méditerranée à l’occasion des révolutions arabes, seulement l’immigration en elle-même n’est pas un problème ponctuel que l’on peut traiter avec ce genre de mesures expéditives, bien au contraire : ce type de mouvements massifs risque bien de devenir la norme. Aussi, le plus logique ne serait-il pas de quitter définitivement l’espace Schengen, puisque la pression migratoire ira vraisemblablement en s’accroissant ? En réalité, on sent poindre avec consternation le sacrifice de la liberté de circulation, principe fondateur de l’Union, sur l’autel de la xénophobie (dans le sens premier du terme).
Il faut craindre que cette « idée » lancée négligemment – stupidement même – par Paris puisse ouvrir la boîte de Pandore et mener à une contestation de l’espace Schengen au delà du « temporaire ».
Vers une réforme du traité de Schengen aussi nécessaire que mal entamée.
Le plus grotesque dans cette histoire exaspérante, c’est que l’un des responsables de l’Elysée, s’il pointe les faiblesses de Schengen (qui existent, ne nous voilons pas la face) déclare ensuite : « si on veut sauver Schengen et sortir de la crise par le haut, il faut renforcer la gouvernance de Schengen donc se doter d’outils ». [2] C’est là une évidence admise d’ailleurs par la Commission depuis quelques temps déjà : elle devrait faire part de ses propositions en mai
Par conséquent, d’un côté la France admet que Schengen doit être réformé, et même renforcé par une plus grande intégration de ses membres mais de l’autre elle songe – et a même l’audace de le faire savoir, souhaitant peut-être donner une certaine publicité à ses propositions et provoquer la polémique – à fermer ses frontières. Où est la logique ?! Comment diable peut-on prêcher une réforme de Schengen tout en cherchant à s’y soustraire lâchement ?!
Par la moustache de Schuman ! Quel est donc l’intérêt de se lancer dans des postures imbéciles alors qu’il est urgent de discuter sereinement et intelligemment d’un défi aussi majeur pour l’Union ? Ce dossier intéresse l’ensemble de l’Union, mais espérons que le sommet franco-italien de mardi prochain permettra de poser les bases saines d’un début de solution. Toutefois, cela suppose que de chaque côté des Alpes l’on se départisse de cette attitude exécrable de roquet mal embouché. Et c’est loin d’être acquis.
1. Le 25 avril 2011 à 21:57, par KPM En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
Surtout, il est insultant pour les Tunisiens de les laisser se démerder avec les 200 000 réfugiés libyens (qu’ils n’essaient pas de refouler, eux) tout en leur cassant les pieds pour quelques milliers de leurs propres ressortissants. Ce genre d’humiliation ne s’oublie pas facilement.
Comparez :
– 200 000 réfugiés pour 10 millions d’habitants dans un pays politiquement fragile et économiquement dépendant sont accueillis avec solidarité ;
– 25 000 réfugiés pour 495 millions d’habitants dans une Europe puissante et riche sont traités comme la peste pour quelques voix aux élections.
Le naufrage de la démocratie, il est là.
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2463657&rubId=55351
2. Le 26 avril 2011 à 07:30, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
Excellent papier. Draguer le FN ne réussit pourtant pas à accroître la popularité de Sarkozy. Il serait temps qu’il cesse d’écouter les idéologues nationalistes qui lui servent de conseillers.
Lire aussi sur le sujet la tribune de Hugues Serraf : "Touche pas à mon Schengen !« qui souligne que »L’Europe n’a pas seulement besoin d’avancer pour ne pas se casser la figure comme la bicyclette du fameux cliché : elle a surtout besoin de ne pas reculer."
3. Le 27 avril 2011 à 15:45, par HERBINET En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
Pour agitateur d’idées qu’il soit, Pierre-Franck Herbinet occupe les réflexions euro-citoyennes et euro-critiques de la blogosphère au sein de l’espace public européen. Aux relents xénophobes, les discours scabreux des populistes fleurissent comme de la mauvaise herbe sur les ondes du web. La saison de l’espérance est ... le printemps ; pendant que les peuples arabes et perses espèrent transformer la conquête des libertés en emplois, en pouvoir d’achat et en croissance économique, les catholiques célèbrent dans la joie la Résurrection du Christ en guise d’Espérance. Tirant de salvatrices leçons de la gestion à risque des immigrés tunisiens, à Bruxelles, la Commission européenne, sous peu, formulera des propositions dont le but est la réforme des accords de Schengen. D’aucuns ne pensent à la suspension des accords, mais plutôt à préciser les conditions d’application stipulées dans l’article 23. Plus largement, il est envisagé une harmonisation des dispositifs de contrôle des flux migratoires aux frontières extérieures de l’Union européenne ainsi qu’une coordination optimisée des opérations.
Pierre-Franck Herbinet
4. Le 27 avril 2011 à 20:07, par Iris Passy En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
Je me permets de rappeler à Pierre-Franck que le Taurillon accueille les commentaires de tous sur les articles, à partir du moment où ils ont une pertinence par rapport au débat. Utiliser les commentaires pour faire une auto-promotion copiée-collée en parlant de soi à la troisième personne est aussi hors de propos que grossier vis-à-vis de l’auteur, d’autant que le Taurillon a fait leur place aux articles de Pierre-Franck.
5. Le 6 mai 2011 à 22:16, par T-A-M de Glédel En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
« Ce dossier intéresse l’ensemble de l’Union, mais espérons que le sommet franco-italien de mardi prochain permettra de poser les bases saines d’un début de solution. »
Le problème justement est que l’immigration ne concerne pas l’UE mais 4 ou 5 de ses États membres (en l’occurence pour l’Afrique du Nord : Italie, France, Espagne, Belgique et un peu le Royaume-Uni...). Il me paraît donc évident que les réactions face à ces vagues migratoires proviennent de ces États. Comment voulez-vous que l’Estonie, la Pologne ou la Hongrie se préoccupent de ces questions alors que ces pays-ci doivent plutôt lutter contre l’émigration de leurs nationaux ?
6. Le 7 mai 2011 à 08:54, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
Les pays de l’est de l’Union connaissent également de l’immigration, en provenance de pays plus à l’est encore. Quant à l’émigration de leurs nationaux il s’agit à ma connaissance d’un phénomène marginal notamment pour les pays que vous citez. Sur l’immigration en Pologne cf. par exemple La politique polonaise d’immigration
7. Le 12 mai 2011 à 09:23, par Aymeric L En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
Et voilà que le Danemark succombe également aux sirènes populistes... Sans aucune raison ! Incompréhensible.
http://www.euractiv.com/en/future-eu/denmark-rebuilds-borders-commission-alarmed-news-504767
8. Le 10 août 2011 à 19:42, par Alain En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
je viens de lire avec énormément d’intéret, cet article, sur le problème que pose aux pays européens, l’afflux massif, d’etres humains, venu de pays hors espace shengen ce qui en ressort pour moi a la différence de l’auteur, c’est que le seul problème résiduel, malgré toute notre bonne volonté et notre humanisme, est de savoir qui paye ?, quelque soit leurs origines, leurs couleus, leurs religions, ces hommes et ces femmes une fois rentré sur le territoire, non plus national, mais européen, auront des droits, asile politique, visa temporaire, droit au soins, droit au logement, j’en passe et des meilleures, et compte tenu de l’état des fin nances publiques des pays membres, personne n’en veut
9. Le 11 août 2011 à 20:56, par Aymeric L En réponse à : Carton rouge à cette France qui se dit prête à fermer ses frontières « temporairement »
En quelle langue faut-il le dire ?
1. Les immigrants coûtent moins qu’ils ne nous rapportent, car ils sont majoritairement actifs, occupent ces myriades de postes dont personne parmi les locaux ne veut (BTP, restauration, industrie), et font peu valoir leurs droits à l’assurance santé : http://issuu.com/smazetier/docs/rapport_de_l_audit_de_la_politique_d_immigration__?viewMode=magazine&mode=embed
2. Si on veut faire des économies, commençons plutôt par cesser de financer à pure perte cette politique du chiffre, qui consiste essentiellement à « renvoyer chez eux » des Roumains, des Bulgares, ou des Marocains interpellés à Perpignan dans des bus... qui rentrent juste à Casa. Tout cela en détournant une énorme partie des moyens policiers de leurs missions de sécurité.
Quant à l’asile politique, il a tenu tant qu’il s’agissait d’accueillir des réfugiés d’Europe de l’Est qui avaient la chance d’être chrétiens et blanc. Aujourd’hui, pour être reconnu comme réfugié, il faut quasiment une attestation de persécussion signée par l’Etat auteur des persécussions.
L’immigration zéro est une politique qui n’a aucun sens économique ou budgétaire. Et c’est surtout une politique qui bousille des individus pas plus honnêtes ou malhonnêtes que le Français moyen.
Suivre les commentaires : |