Football, Europe et salary cap

, par Raphael Morgulis

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Football, Europe et salary cap

La situation du football européen de clubs est franchement préoccupante. Plus de suspense, plus de surprise, plus d’égalité, et, de plus en plus, pas de mérite. Bref, pour résumer : pas de sport. Un constat triste puisqu’on parle bien de la compétition sportive phare en Europe, la Ligue des Champions.

Pourtant, les solutions existent pour remédier à cette situation. Il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique, au pays de l’Oncle Sam, du Big Mac et du salary cap [1].

L’Europe aime, depuis des années déjà, donner des leçons à l’Amérique. Au fond, les états-uniens ne sont que des obèses incultes, obnubilés par l’argent, plus préoccupés par leur prochain burger que du monde qui les entoure, capables d’élire George W. Bush deux fois de suite, et inaptes à placer Paris sur une carte du monde.

Mais l’Europe n’est pas toujours plus brillante. Pour faire dans le cliché mielleux, il y a du bon et du mauvais partout.

Un point commun : la place prépondérante du sport professionnel dans la culture populaire dans ces deux sociétés. L’Europe vit au rythme du football, des coupes du Monde, des championnats, et surtout, de la Champions League et sa collection de stars, quand l’Amérique s’extasie sur la NBA, le baseball, et se réunit tous les ans devant la grande messe qu’est le Super Bowl. Le sport est de plus en plus la réponse de nos sociétés à notre besoin presque vital de confrontations, de passions, de dépassement, d’héroïsme. On le dit reflet de nos préoccupations, vitrine de nos valeurs, théâtre de tous les sujets de société. Si c’est vraiment le cas, on est dans de beaux draps…

Les salaires, où pourquoi le football de club est soporifique

Quand s’est on réellement extasié durant une saison entière de Champions League dans les dix dernières années ? Le seul exemple probant est l’édition 2004 : deux finalistes surprise, un Monaco sorti de nulle part sortant matchs d’anthologie après match de légende, perdant face à un FC Porto fascinant d’intelligence, de talent et de maîtrise, mené par deux personnages méritant le qualificatif d’extraordinaire, José Mourinho et Deco.

Le reste ? Des victoires convenues. Le Real Madrid, Manchester United, le Bayern de Munich, le Milan AC, Barcelone. Et – on n’a plus peur du ridicule en C1 – la « surprise » Liverpool. Aucun club n’ayant pas fait partie du défunt G14. Des clubs issus de quatre championnats, quand les inscrits en C1 en représentent une bonne trentaine. En tout et pour tout, moins d’une dizaine de clubs ont une chance réaliste d’aller au bout de la compétition. La moitié d’entre eux étant quasiment assurée de se retrouver en demi-finale.

D’ou vient le mal ? De l’argent, bien sûr. Mais avant de verser dans le populisme de base sortant un slogan trop vite trouvé – ah, ces footballeurs, tous des danseuses payées des millions ! – précisons immédiatement : le problème ne réside pas dans le fait que ces sommes d’argent formidables règnent sur le football d’aujourd’hui. Elles sont globalement proportionnelles à l’intérêt soulevé par le sport. Non, le problème vient de la concentration de cet argent, et de la liberté totale autour de son utilisation.

Chelsea, grand dépensier par excellence, donne un total de 168 millions d’euros par an à ses 25 joueurs professionnels. L’Inter et l’AC Milan en sont pour 120 millions. Sans donner de liste interminable, il y a un fossé gigantesque entre une douzaine de clubs riches et pouvant se permettre des masses salariales gargantuesques, et le reste du monde.

Un fossé qui a non seulement rendu la compétition majeure du continent prévisible, mais qui a surtout créé des situations ridicules qui sont à l’opposé de ce que souhaitaient les créateurs de la Champions League. En effet, le but de la C1 est de rassembler dans la même compétition les meilleurs joueurs du monde, et de les offrir au public dans un maelström de jeu spectaculaire et d’actions légendaires.

Sauf qu’aujourd’hui, tous les meilleurs joueurs ne sont pas sur la pelouse. La plupart y sont. Mais, pour 11 postes de titulaires, combien de stars restent sur le banc ? Le champion 2008, Manchester United, se payait le luxe de laisser des talents comme Park Ji-Sung, Carlos Tevez, Anderson ou Nani sur le flanc. Chelsea, finaliste, est bien pire, avec les Belletti, Malouda, Bridge, Wright-Phillips, Shevchenko et autres Pizarro. On peut continuer avec Liverpool, sous-utilisant les Voronine, Babel, Pennant, Kewell et Benayoun. Dans chacun de ces clubs faisant partie de cette élite fortunée, on trouve environ cinq joueurs de banc qui seraient titulaires de façon quasi certaine ailleurs. Oui, les meilleurs se rencontrent à la fin. Mais si pour cela il faut priver une trentaine de joueurs de très haut niveau d’être titulaires, ça n’en vaut pas la peine, et c’est un gâchis considérable.

Alors quoi ? Comment faire pour revenir vers un semblant de compétition, redonner de l’intérêt au trophée le plus reluisant du sport européen sans pour autant diluer la qualité de jeu au profit du suspense ? Il est hors de question de niveler vers le bas, mais des changements sont nécessaires. Et ils ne concernent pas que la Champions League : citons en vrac, la Premier League et ses quatre leaders omnipotents et fatigants, la Liga et ses deux monuments, la Bundesliga et son alter ego, la Ligue 1, victimes de ses dictatures [2].

On peut même étendre le propos au rugby français qui de plus en plus se dirige vers les mêmes eaux poisseuses, ou encore le basket et son Euroligue dont le modèle est assez évident. Partout, les mêmes problématiques soulevées par l’omniprésence de l’argent et l’inégalité de sa répartition.

L’Amérique donne la leçon à l’Europe

Les États-Unis, pays où le sport est traité avant tout comme un spectacle, ont trouvé le moyen d’éviter cette situation risible. La NFL, la NBA et la NHL [3] sont des ligues extrêmement puissantes capables d’imposer aux équipes, aux joueurs et aux medias leurs propres règles du jeu. L’un de leur plus grand souci est de respecter une forme d’équilibre des forces entre les franchises -les équipes- engagées. Cet équilibre se fait notamment par une limite à ne pas franchir quant au nombre de joueurs inscrit dans l’effectif, par la Draft [4] qui donne la priorité aux derniers de chaque saison lors de la sélection des jeunes talents – ce qui contraste largement avec la jungle totale qu’est la formation européenne – et surtout, par le principe du salary cap.

Le salary cap – plafond salarial en français – est une limite de la masse salariale, fixée par la ligue selon les revenus générés par le sport la saison précédente. Chaque équipe est donc soumise au même régime et doit construire un effectif compétitif en respectant cette frontière (à noter que la NBA est un cas particulier : les équipes peuvent dépasser le plafond, mais pour chaque dollar de plus, elles doivent en reverser le double en guise d’amende à la ligue. Un système plus flexible mais toujours assez prohibitif, surtout en période de crise financière)

La façon de répartir la somme autorisée est laissée à la discrétion des décisionnaires de chaque franchise. Certains allouent une majeure partie du cap dans une poignée de joueurs majeurs aux salaires mirobolants, puis remplissent l’effectif avec des vétérans ou de jeunes inconnus, moins chers. D’autres préfèrent garder un certain équilibre et fournissent l’équipe de joueurs confirmés à des prix raisonnables. Bref, la constitution d’une équipe gagnante ne tient plus de la profondeur du porte-monnaie du propriétaire, mais des décisions sportives. Il n’est pas possible de recruter toutes les stars possibles et imaginables. Il faut réfléchir, évaluer les besoins réels de l’équipe, chercher les joueurs sous-évalués et jongler avec les contrats.

Une erreur de casting se paie cash car elle ne peut être corrigée par le recrutement d’un autre joueur plus coûteux encore. C’est ainsi qu’en NFL, d’une année à l’autre, les équipes parvenant aux playoffs (les phases finales des championnats) ne sont jamais les mêmes, et il est rare qu’un champion puisse rééditer son exploit l’année suivante – voire qu’il accède aux playoffs tout court. Une équipe en désarroi peut, par des mouvements d’effectifs intelligents pour créer du cap space, des marges de manoeuvre, reconstituer un effectif solide et compétitif de façon rapide – comme les Miami Dolphins et les Atlanta Falcons, derniers en 2007, en playoffs en 2008. Bref, le salary cap rend tous les scénarios possibles.

Un salary cap dans le foot ?

L’instauration d’un plafond salarial dans le foot européen ne condamnerait pas les équipes comme Manchester ou Barcelone à l’anonymat. Ces équipes, par leur histoire, leur aura, attireront toujours les meilleurs. Elles garderont les plus beaux « onze » qui soient. Seulement, les remplaçants ne seraient plus des joueurs qui devraient être titulaires ailleurs. Lyon ne pourrait garder des joueurs comme Fred, Ederson, Pjanic ou Mensah sur son banc. Chelsea ne pourrait se permettre l’alignement délirant de stars assises sur des sièges rembourrés tous les dimanches. Le Steaua Bucarest ou les Glasgow Rangers auraient une chance d’attirer de bons joueurs, capables de rivaliser avec les meilleurs. Le vainqueur de la C1 ne serait pas à choisir parmi huit ou neuf équipes dont le seul mérite est d’avoir une puissance financière supérieure.

Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire. Les ligues US peuvent implémenter cette solution car il ne s’agit que d’un seul pays, d’une seule législation, fiscalité, monnaie. Les différentes compétitions de football sont éclatées et gérées par des organisations différentes (UEFA, LFP, FA etc…), et l’Europe utilise le système de promotion/relégation pour relier le sport professionnel au sport amateur, concept absent des ligues américaines.

Mais ces obstacles ne sont pas insurmontables. L’UEFA en particulier, par son pouvoir, et par l’image de marque de sa compétition phare, la Ligue des Champions, est en position idéale pour faire appliquer un tel système et le transmettre aux championnats nationaux. Quant aux législations nationales, si des différences importantes persistent entre les pays de l’Union européenne , le droit de la concurrence et les règles du marché commun laissent espérer une harmonisation croissante.

La vraie difficulté réside en fait dans la cohabitation d’Etats membres de l’Union européenne, et d’Etats voisins participant aux compétitions de l’UEFA, comme Israël ou la Russie. Et si l’acquis communautaire passait aussi par le sport ?

Illustration : FC Barcelone contre AC Milan, Flickr

Notes

[1Le seuil salarial, le plafond salarial

[2L’auteur précise être supporter lyonnais, c’est dire

[3Respectivement les ligues de Football américain, de basket et de hockey sur glace

[4Le recrutement

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