Rappelons les faits. Il y a tout d’abord eu cette réunion à l’Elysée le 28 juillet dernier, à la suite de laquelle la France a procédé à une accélération des reconduites de Roms dans leur pays d’origine. Plusieurs voix, au premier rang desquelles l’Organisation des Nations Unies, la Commission européenne, le Vatican et des associations de défense des droits de l’homme, se sont alors élevées pour s’inquiéter du respect des principes de non discrimination et de libre-circulation dans l’Union européenne.
Alors que la France avait donné des assurances sur le bien-fondé de ses actions, la révélation d’une circulaire, datée du 5 août et invitant les préfets à évacuer les camps illicites, en donnant la priorité à ceux des Roms, a véritablement mis le feu aux poudres. Viviane Reding, commissaire européenne de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté a alors estimé qu’elle n’aurait pas d’autre choix que de poursuivre la France en justice.
On ne badine pas avec l’Europe
Suite aux propos de Viviane Reding, la réaction de Pierre Lellouche, sécrétaire d’Etat français chargé des affaires européennes, révèle soit une méconnaissance totale du droit européen, soit un mépris de l’échelon communautaire, cette option étant plus vraisemblable à en juger par les moyens humains dont disposent les services juridiques du gouvernement. Nous avons ainsi lu avec stupeur que, pour contrer les reproches de Viviane Reding, Pierre Lellouche avait avancé que « le gardien des traités, c’est le peuple français ». Les traités européens attribuent pourtant à la Commission le rôle exclusif de veiller à la bonne application du droit communautaire. Et le peuple français a-t-il jamais eu le pouvoir exécutif ?
Autre déclaration sidérante, le Parlement serait « sorti de ses prérogatives » en adoptant une résolution condamnant les agissements de la France. Si la tournure du texte est contestable en ce qu’il cible expressément la France, qui n’est pourtant pas le seul pays européen dans ce cas, il n’en reste pas moins que la possibilité d’émettre des résolutions figure bel et bien dans le champ d’activité du Parlement européen, d’ailleurs récemment élargi par l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
Pierre Lellouche souhaite brandir l’argument de la souveraineté ? Qu’il reconnaisse donc que dans une démocratie, le peuple est souverain et qu’ici en l’occurrence, c’est le peuple européen qui vient de s’exprimer par la voix de ses députés, les seuls représentants politiques au niveau européen à être élus au suffrage universel.
Affirmer que la Commission européenne n’a pas fait grand chose pour l’intégration des Roms constitue un autre élément de la rhétorique de Pierre Lellouche. Il y a certes une absence de leadership chez José Manuel Barroso, qui cède souvent face aux pressions des Etats et n’a pas le volontarisme politique qu’avait Jacques Delors pour promouvoir des solutions à l’échelle européenne. Néanmoins, la Commission s’est déjà emparée du problème avec les compétences que les Etats ont bien voulu lui donner. L’intégration et la politique sociale en général sont en effet encore largement du ressort des Etats. Parmi les actions entreprises, la Commission a ainsi organisé un sommet sur les Roms en avril dernier et des fonds structurels sont alloués aux Etats afin de les aider à intégrer leurs minorités.
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy s’est appuyé sur la nationalité de Viviane Reding pour contester sa légitimité en sous-entendant qu’il n’avait pas de leçon à recevoir de quelqu’un dont le pays n’est pas concerné par ce genre de situation. Outre la dégradation que cela peut entraîner dans les relations entre la France et le Luxembourg, l’argument est très contestable sur la forme car un commissaire européen n’est pas censé représenter son pays, mais l’intérêt général européen.
Même s’il s’agissait de réactions à chaud dans le cadre d’un sujet très polémique, la somme de contre-vérités contenues dans les discours entendus ces derniers jours n’est pas digne de hauts responsables politiques. Surtout, alors que Nicolas Sarkozy jouait de plus en plus le jeu de l’Europe, un coup a indiscutablement été porté au projet communautaire. L’affaire est tout de même intéressante en ce qu’elle aura permis de convaincre de la pertinence de trouver une solution européenne à la situation des Roms qui, comme beaucoup d’autres phénomènes aujourd’hui, ignore les frontières nationales.
Cependant, on peut regretter la façon dont le gouvernement a tenté de minimiser le rôle du Parlement européen aux yeux du public, alors qu’il a injustement souffert de l’idée qu’il ne serait qu’une chambre d’enregistrement lors des dernières élections européennes, marquées par un faible taux de participation. Enfin, en déclarant que « la France est un grand pays souverain », Pierre Lellouche crée la confusion sur la construction communautaire. Avec ce processus, il faut être conscient qu’une partie des compétences des Etats membres a été transféré à la Commission européenne et que de ce fait, son action peut très bien se voir sanctionner par elle dans les domaines concernés.
Le ressac national érode l’image de la France
Après son élection à la Présidence de la République en 2007, Nicolas Sarkozy avait annoncé que « la France [était] de retour en Europe ». A la suite du récent Conseil européen où le Chef de l’Etat s’est attiré l’ire de ses partenaires en voulant adoucir la polémique sur les Roms, on peut déplorer que « la France soit bel et bien de retour en Europe, mais pas pour les bonnes raisons ». En parcourant le site du Ministère des Affaires étrangères et européennes, on retrouve dans la partie « Action de la France / Droits de l’Homme » la phrase suivante : « Au sein de l’Union européenne, la France souhaite donner à la Charte des droits fondamentaux une portée juridique. » A l’heure où le gouvernement français, pour défendre sa politique de démantèlement de camps et d’expulsion des Roms, provoque directement la commissaire européenne Viviane Reding, comment la France peut-elle prétendre vouloir faire de la Charte des droits fondamentaux un texte européen à portée juridique ?
Comme le souligne le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, « ce n’est pas uniquement la puissance des traités européens qui est en jeu mais aussi l’interprétation de la dignité humaine de chaque citoyen de l’UE parce que la Commission ne laissera subsister aucun doute sur le fait que l’UE est un modèle des droits de l’Homme ». Comment la France pourrait-elle en venir à donner au monde l’impression que l’UE est moins une communauté de valeurs qu’un vaste marché ? Nous avons été, avec l’Allemagne, moteur de l’approfondissement de l’Union comme alliance politique dépassant les intérêts économiques. Aujourd’hui, la France se place en porte-à-faux avec cette dynamique historique en niant l’avis de l’Union, de sa Commission et de son Parlement.
Cette crise politique, qui a débuté dans le cadre des Nations Unies, n’est qu’un coup de plus porté à l’image internationale de la France. Elle va plus loin que le cadre européen, même si celui-ci est le plus vif dans sa réaction. C’est en effet l’ONU qui la première a envoyé une lettre au Conseil et à la Commission pour exprimer son inquiétude quant à la politique du gouvernement français. Le poil à gratter a été sorti par le Comité pour l’Elimination des Discriminations Raciales (CEDR). Composé des experts élus par les Nations Unies, il agit aux côtés du Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme. A ce titre, le Comité a recommandé à notre pays de tenir compte de ses engagements en conformité avec la « Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales » . Le préambule de ladite convention comporte une clause que nous aimerions rappeler : « [les signataires réaffirment] que la discrimination entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l’origine ethnique est un obstacle aux relations amicales et pacifiques entre les nations et est susceptible de troubler la paix et la sécurité entre les peuples ainsi que la coexistence harmonieuse des personnes au sein d’un même Etat ».
Au-delà de l’outrage que représentent les propos de la diplomatie française « quant à l’origine des membres du CEDR venant de pays non démocratiques », la France s’est mise en porte-à-faux par rapport aux Traités qui ont donné naissance au CEDR. Elle les a ratifiés souverainement. Elle a donc accepté le rôle d’alerte et de recommandation qui incombe au CEDR. Au passage, dans cette politique, le CEDR a rappelé avec justesse qu’il attendait un « réel projet national de lutte contre le racisme » pour mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’Action de Durban (1991).
La France a toujours fait preuve de leadership politique dans les initiatives de la Conférence Mondiale contre le Racisme. Elle a toujours combattu la discrimination systématique contre une communauté particulière. Aujourd’hui, la politique française menée à l’égard des Roms met à mal la crédibilité de notre pays dans le combat en faveur du respect des Droits de l’Homme et des Droits Fondamentaux. Voilà comment l’obstination d’un gouvernement peut ruiner la réputation historique d’un Etat…
1. Le 20 septembre 2010 à 15:08, par eurojack En réponse à : Une souveraineté insolente
TOUT A FAIT D ACCORD AVEC CETTE ANALYSE BRILLANTE ET ARGUMENTEE CEPENDANT SOYONS CONSCIENTS COMME MILITANTS D UNE EUROPE FEDERALE QUE JAMAIS L ENVIRONNEMENT ANTI EUROPEEN OU PIRE EURO MOLLASSON AVEC UN INTERGOUVERNEMENTALISME DEPASSE N A ETE AUSSI PREGNANT EN EUROPE ...
2. Le 20 septembre 2010 à 15:18, par Euroalter En réponse à : Soutenir les actions européennes pour la sauvegarde des droits fondamentaux
En effet, la réponse faite au Parlement européen est assez choquante, surtout compte-tenu de son actuelle composition, qui serait a priori plutôt favorable à un gourvenement UMP.
A Alternatives Européennes, la réaction à la déclaration de Madame Reding, nous a semblé également déplacée. En minimisant son impact et en insistant sur ses faiblesses, elle minimisait l’impact de l’annonce principale, à savoir que la France est signataire de Traités qui guarantissent les droits fondamentaux, et qu’elle se doit de les respecter.
C’est pourquoi nous avons lancé une pétition, dont l’objectif est de démontrer que les citoyens européens soutiennent l’action des institutions lorsqu’il s’agit de faire respecter les droits des citoyens, malgré les allégations d’un état membre.
Retrouvez la pétition en ligne sur notre site : http://www.euroalter.com/fr/2010/agir-pour-soutenir-la-commission-et-les-droits-des-citoyens-europeens/
Nous vous invitons à la soutenir !
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