Un accord “renégocié” balayé
Après avoir rejeté l’accord de retrait en janvier, les députés britanniques avaient chargé la Première Ministre d’obtenir des concessions de l’Union européenne sur l’épineuse question du backstop, point sensible du traité de divorce.
Theresa May s’est exécutée, le 11 mars à Strasbourg, veille du deuxième vote sur le texte et en est revenue avec un texte d’interprétation censé rassurer la Chambre des Communes : le backstop ne pourrait être appliqué à durée indéterminée dans le cas où il serait mis en place, et les deux parties se devront de chercher des alternatives à ce mécanisme. Si l’Union venait à agir de mauvaise foi dans le but de maintenir ce mécanisme, le Royaume-Uni pourrait en venir à “suspendre unilatéralement l’accord de retrait et le protocole sur l’Irlande de manière proportionnée” (§14). Cette déclaration de dernière minute n’a reçu le soutien du Labour, ni du DUP (parti nord-irlandais) élément essentiel de la coalition de Theresa May. Pire Geoffrey Cox, conseiller juridique du gouvernement britannique déjà à l’oeuvre pour le vote de mi-janvier a déclaré qu’il subsistait un risque de voir le backstop persister dans le temps.
Cette suite d’évènement a abouti le 12 mars à un deuxième rejet du Parlement britannique de donner son aval au traité de retrait et ce à 391 contre 242, infligeant une deuxième défaite à Theresa May.
Une suite de votes chaotique
La victoire du non le mardi, a entraîné la tenue mercredi soir d’un vote sur la question d’une sortie sans accord de retrait le 29 mars, proposée par le gouvernement. C’est dans une certaine confusion que les députés se sont prononcés sur une éventuelle sortie de l’UE sans accord. C’est une version amendée de celle du gouvernement qui a affirmé la volonté britannique de ne jamais voir le no-deal se concrétiser, ce rejet s’est largement manifesté à 321 voix contre 278.
Ce rejet du no-deal a fait rapidement réagir du côté de l’Union européenne dont l’un des portes-paroles a estimé “qu’il ne suffit pas d’écarter la possibilité du no-deal, il faut accepter un accord”. Cette position a été reprise par Theresa May qui espère pouvoir organiser un troisième vote sur l’accord de retrait à la veille de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars, pour ensuite demander une extension de l’article 50 aux 27, avec une justification “convaincante et crédible”.
Jeudi soir, le gouvernement britannique a remporté une victoire (amère tout de même, après une semaine chaotique) : les députés ont accepté à 412 voix contre 302 l’éventualité d’un report court du Brexit - vraisemblablement jusqu’au 30 juin, avant l’entrée en fonction officielle du prochain Parlement. Ce report devra être accepté à l’unanimité par les 27 lors du Sommet de cette semaine, et ne le sera visiblement que si au cours d’un troisième vote sur l’accord de retrait mercredi les députés choisissent de donner leur accord à sa ratification. L’accord a été rejeté à deux reprises déjà. Jamais deux sans trois ? …
Cette soirée du 14 mars a aussi été marquée par le rejet de l’option d’un second référendum sur l’appartenance du Royaume Uni à l’Union européenne, possibilité qui aurait nécessité une extension longue de l’article 50, obligeant ainsi les britanniques à organiser des élections européennes sous peine de causer de lourds problèmes juridiques au prochain Parlement. Mais ce scénario d’un Brexit repoussé au-delà des élections pourrait aussi bien voir le jour si Theresa May échoue une troisième fois à obtenir une majorité sur l’accord de retrait.
Une pléthore de scénarios
Alors en ce nouveau début de semaine décisive, à quoi faut-il s’attendre ? Sans se risquer à des spéculations et conclusions hâtives, essayons simplement de comprendre les différents scénarios qui pourraient se profiler dans les prochains jours.
La semaine devrait débuter par un un troisième “meaningful vote” sur l’accord de novembre, vraisemblablement mardi ou mercredi. Si le gouvernement obtient le soutien (inespéré mais nécessaire), cela permettra à Theresa May de se rendre à Bruxelles pour le Sommet européen du 21 et 22 mars avec un argument convaincant en faveur d’une extension courte de l’article 50. Jean-Claude Juncker Juncker avait déjà évoqué la question d’une extension à court terme lundi dernier à Strasbourg suggérant comme date butoire le 22 mai, veille du scrutin européen. L’échéance du 30 juin est aussi évoquée : le nouveau Parlement européen n’entrera en fonction que le 2 juillet, ce qui permettrait d’éviter toute illégalité de celui-ci en l’absence de représentants britanniques.
Si la question d’une extension courte semble acquise du côté européen - même si l’unanimité est requise lors du Sommet pour l’accorder - aucun Etat ne se risquerait à bloquer seul cette demande britannique - celle d’une extension plus longue est aussi en discussion. Le Président du Conseil, Donald Tusk, a affirmé qu’il envisageait de proposer cette option aux Etats membres si cela s’avère être “nécessaire pour reconsidérer la stratégie autour du Brexit et atteindre un consensus”.
Cependant, cette option d’une extension de plusieurs mois pose des problèmes juridiques et politiques. Le Financial Times a eu accès à un document européen de préparation du Sommet, qui évoque ce scénario. Cette perspective implique en effet que les britanniques participent aux élections européennes pour que les actes du prochain Parlement européen ne soient pas entachés d’illégalité, ce qui bloquerait l’action européenne. La participation britannique aux élections semble donc inévitable si l’option d’une extension longue est envisagée. Or, personne n’a envisagé la tenu d’élections européennes au Royaume-Uni, et celles-ci ont lieu dans moins de trois mois : ni l’organisation du scrutin ni les partis ne sont prêts. Cette éventualité amène certains juristes comme Eleanor Sharpston - Avocate Générale à la Cour de Justice de l’Union européenne à considérer que la chambre des Communes pourrait envoyer certains de ses pairs pour siéger à Strasbourg (mécanisme en place avant 1979 au Parlement européen).
Au-delà de ces questions juridiques, l’extension longue verrait donc le Royaume-Uni rester membre de facto de l’Union européenne, ce qui implique des questions quant à sa participation dans les négociations et contributions au prochain budget pluriannuel mais aussi concernant les prochaines nominations des postes stratégiques. En suspens aussi, les négociations commerciales qui doivent se tenir après le Brexit comme l’a souligné Michel Barnier dans le même document.
Parmi tous ces scénarios “optimistes”, la possibilité d’un “Remain” reste faible bien qu’ attirante. La Cour de Justice de l’Union européenne a estimé le 10 décembre dernier que l’article 50 déclenché unilatéralement pourrait être retiré de la même façon qu’il a été activé (sous certaines conditions). On peut penser qu’un tel scénario impliquerait la tenue d’un référendum pour respecter le choix des britanniques dont l’avis a déclenché la procédure de divorce en mars 2017. Cette éventualité ne doit pas être balayée d’un revers de main, bien sûr il ne faut pas accueillir les britanniques à bras ouverts s’ils souhaitent finalement rester membre de l’Union européenne. Mais on ne doit pas non plus leur fermer la porte si près de trois ans après le référendum le peuple britannique décidait finalement le Remain. Ce serait renier l’essence même de ce pour quoi nous faisons l’Union : une Fédération européenne. Cette ambition impliquerait un engagement plus que renforcé du Royaume-Uni dans la construction européenne pour ne pas voir l’article 50 être déclenché à nouveau, sinon le Brexit resterait éternellement l’ouroboros britannique...
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